Issu du replay de l’intervention de l'EHC pendant un événement Smile et Synotis, cet article décrypte comment l'IA générative allège la charge administrative des médecins pour redonner du temps de soin.
La surcharge administrative représente aujourd'hui un défi structurel majeur pour les établissements de santé. Lors de son intervention durant notre événement « Data, IA & UX au service de vos métiers », Frédéric André, Directeur des Systèmes d'Information (DSI) de l'Ensemble Hospitalier de la Côte (EHC), a détaillé une initiative visant à intégrer l'intelligence artificielle générative dans le quotidien des praticiens. L'objectif consiste à automatiser la production de documents cliniques complexes pour redonner du temps de soin aux équipes.
Cet article revient sur son intervention et décrypte la méthodologie employée, les défis techniques relevés et les résultats observés, en distinguant les faits rapportés des perspectives qu'ils ouvrent pour le secteur hospitalier.
Le diagnostic : la saturation cognitive du médecin
La problématique initiale repose sur un constat quantitatif précis. Les études citées par Frédéric André indiquent que les médecins consacrent près de 50 % de leur temps de travail à interagir avec le Dossier Patient Informatisé (DPI). Cette charge administrative contribue directement au phénomène d'épuisement professionnel, ou burn-out, observé chez les soignants.
Parmi les tâches administratives, la rédaction de la « lettre de sortie » constitue un point de friction particulier. Ce document est obligatoire pour clore l'hospitalisation et assurer la continuité des soins avec la médecine de ville. Sa rédaction exige un effort de synthèse important, nécessitant de rassembler l'histoire de la maladie, les résultats d'examens et les traitements prodigués.
L'analyse de ce processus révèle que la difficulté ne réside pas uniquement dans la saisie de texte, mais dans la structuration de l'information dispersée. Ainsi, la valeur ajoutée technologique doit se situer au niveau de la synthèse cognitive plutôt que de la simple transcription mot à mot.
De la reconnaissance vocale à l'intelligence artificielle générative
L'EHC utilisait déjà des technologies de reconnaissance vocale classiques (Speech-to-Text). Toutefois, ce projet marque une rupture technologique en couplant la capture vocale à des modèles de langage de grande taille (LLM).
Le fonctionnement décrit par Frédéric André s'articule en plusieurs étapes fluides :
- Le contexte : Le système récupère automatiquement les données administratives du patient (âge, genre, dates d'hospitalisation) présentes dans le DPI.
- L'instruction vocale : Le médecin dicte les éléments clés du séjour, sans nécessairement se soucier de la forme ou de l'ordre parfait des phrases.
- La génération structurée : L'IA traite ces éléments pour produire un document formaté, respectant la structure standardisée de l'hôpital (anamnèse, évolution, traitement de sortie).
Cette approche démontre une évolution de l'usage de la voix. La dictée ne sert plus à produire le texte final, mais à fournir les instructions et la matière première que l'IA se charge de mettre en forme. Cela permet au praticien de s'exprimer dans un langage plus naturel et moins contraint.
L'impératif de souveraineté et de sécurité des données
Le déploiement de telles solutions dans un environnement critique comme l'hôpital impose des contraintes réglementaires strictes dont la nécessité absolue de garantir la confidentialité des données patients.
L'EHC a opté pour une architecture où les données ne quittent pas le territoire helvétique. L'utilisation d'instances privées via Microsoft Azure Suisse permet au DSI de s’assurer que les informations ne servent pas à l'entraînement de modèles publics globaux. Cette précaution répond aux exigences de la Loi sur la Protection des Données (LPD) en Suisse et s'aligne sur les standards européens type RGPD.
Cette vigilance technique démontre une nouvelle fois que l'adoption de l'IA en santé dépend autant de la confiance juridique que de la performance algorithmique. La maîtrise du cycle de vie de la donnée reste un prérequis à toute innovation clinique.
L'expérience utilisateur (UX) comme levier d'adoption
La réussite du projet repose largement sur son intégration ergonomique. Ce nouvel outil ne doit pas être une application supplémentaire nécessitant une nouvelle authentification. L'IA est accessible directement depuis l'interface habituelle du médecin via un simple bouton.
Le flux de travail est conçu pour maintenir le médecin dans une position de contrôle. Après la génération du texte par l'IA, le praticien doit obligatoirement relire et valider le document. L'IA commet parfois des erreurs, qualifiées d'hallucinations, ou peut omettre des détails subtils. Le maintien de l'humain dans la boucle de validation garantit la sécurité médicale et la responsabilité légale de l'acte.
Ce choix de design favorise l'adhésion des équipes. En minimisant le nombre de clics et en s'insérant dans les habitudes existantes, la DSI réduit la friction au changement souvent observée lors de l'introduction de nouveaux outils numériques.
Résultats et bénéfices observés
Les premiers retours terrain mettent en évidence des gains qualitatifs et quantitatifs. Frédéric André rapporte une économie de temps estimée, selon les cas, entre 5 et 10 minutes par lettre de sortie. Sur le volume annuel d'un hôpital, ce gain représente des milliers d'heures médicales potentielles réinjectées dans le soin.
Au-delà du chronomètre, l'impact sur la charge mentale est significatif. L'outil soulage le médecin de l'effort de mise en page et de formulation, lui permettant de se concentrer sur le fond clinique. De plus, la qualité des documents s'améliore : les lettres sont plus complètes, standardisées et toujours polies, l'IA ne subissant pas la fatigue ou l'agacement en fin de garde.
Guide d'activation : les clés pour répliquer ce modèle
Pour les établissements souhaitant s'engager dans cette voie, l'expérience de l'EHC permet de dégager plusieurs principes directeurs actionnables.
Cibler les processus douloureux
Il est pertinent de commencer par identifier les documents dont la rédaction est la plus chronophage et la plus standardisée. La lettre de sortie ou le compte-rendu opératoire constituent des candidats idéaux pour une première implémentation, car leur structure est prévisible et leur volume élevé.
Construire un "Prompt" robuste
La qualité du résultat dépend directement de la qualité des instructions données à l'IA (le prompt). Frédéric André explique que l'élaboration de ce prompt système, qui définit le rôle de l'IA et le format attendu, a nécessité de nombreuses itérations pour aboutir à un résultat satisfaisant. Investir du temps dans l'ingénierie de prompt est indispensable.
Gérer le changement par la preuve
L'approche de l'EHC a consisté à travailler avec des groupes pilotes de médecins volontaires. Les résultats concrets obtenus par ces premiers utilisateurs servent ensuite de vecteur de communication pour convaincre le reste de l'établissement. Cette stratégie de diffusion par l'exemple facilite l'acceptation culturelle de l'outil.
Anticiper l'évolution des usages
Au-delà de ce nouvel outil, de nouveaux usages sont déjà envisagés, notamment l'utilisation de l'IA sur support mobile pour la visite au lit du patient. Cela laisse entrevoir une évolution où l'IA deviendra un assistant omniprésent, capable de capturer l'information clinique en temps réel, réduisant encore davantage le décalage entre le soin et sa documentation.
En conclusion, l'initiative de l'EHC mené avec Smile et Synotis illustre une transition pragmatique vers l'hôpital numérique. L'IA générative y est utilisée comme un levier d'efficacité opérationnelle concret, encadré par des exigences de sécurité fortes, confirmant que la technologie est désormais mature pour assister les soignants dans leurs tâches les plus lourdes.
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